lundi 24 novembre 2008

Le mystérieux Breton Jean Cremet dans le Hong Kong des années 30 -1-

Le 8 janvier 1930, attablé à l’un des hôtels de Hong Kong, un homme d’affaires discret rédige quelques cartes postales à sa famille. Est-ce un Français ? Car il signe ses missives «Jean Thibault» et les envoie à une Mme Thibault, en Loire-Inférieure, comme on appelait à l’époque ce département breton du pays nantais (la Loire atlantique d’aujourd’hui)? Ou bien, est-il plutôt un Belge, car il se trouve qu’il a accès à un second passeport, sous un nom flamand, avec lequel il a loué un appartement à Shanghai: René Dillen, commerçant international? Ni l’un, ni l’autre. Car son vrai nom est encore différent. Il s’appelle Jean Cremet. Quel est ce mystérieux personnage ?
Selon l’état-civil, il est bien né à La Montagne, dans ce pays nantais en 1892. Très jeune, il a été employé à l’arsenal d’Indret où son père était ingénieur et où l’on fabriquait, alors qu’approchait la Grande Guerre, des hélices de torpilles. Rompant avec sa famille, jeune syndicaliste et militant ardent du Parti socialiste, il s’est fait repérer très tôt par le commissariat spécial (ancêtre des renseignements généraux). Et pour cause: Jean Cremet, qu’on surnomme «le Petit Rouquin», mène tambour battant quelques grèves retentissantes ainsi que des actions antimilitaristes. Il a même, de surcroît, hébergé des camarades socialistes étrangers, et piloté, -pour ses vacances de 1911- un délégué russe qui aime la pêche à la crevette du côté de Pornic: le camarade Oulianov, sa femme et sa belle-mère.
On l’a compris: six ans plus tard, l’Oulianov en question, est le maître de la Russie au Kremlin sous le nom de Lénine! Jean Cremet, malgré ses forts sentiments pacifistes a endossé l’uniforme en 1914 et de suite été blessé au Luxembourg belge dans les premiers combats meurtriers dans lesquels se sont affrontés jeunes bretons et jeunes bavarois. Quand le Parti communiste voit le jour en France, à Moscou on soutient certaines candidatures pour la direction aux côtés de cet autre vieux Breton, Marcel Cachin. La pêche à la crevette n’est pas oubliée. Lénine, puis son adjoint Staline, suggèrent de faire un bon sort au dirigeant régional Cremet. Mais acceptera-t-il de quitter Nantes, son épouse Alphonsine et leur petite fille Jeanne?
Le voici à Paris, élu conseiller municipal du 14e arrondissement. Mais aussi, côté face, en 1925, secrétaire général adjoint du Parti communiste. Côté pile, c’est autre chose. Le 4e Bureau de l’armée rouge (autrement dit le service de renseignement qu’on appelle aussi GROu) lui demande de créer un vaste réseau d’espionnage à travers toute la France. Le premier du genre. Il s’agit d’implanter des correspondants dans tous les ports, les usines d’armement, les laboratoires les plus pointus de la technologie de l’époque. À cette époque où une génération entière a été traumatisée par la guerre de 14-18, ils sont nombreux à penser qu’en aidant la «patrie des prolétaires», l’Union soviétique, on sauvera la paix… Le Petit Rouquin et ses deux maîtresses, Louise et Madeleine Clarac, vont effectivement monter un vaste système de renseignement. Jusqu’au jour où, en mai 1927, la Sûreté, forte des aveux d’un de leurs correspondants, démantèle le réseau. C’est un énorme scandale ! Cremet disparaît. La police encercle l’ambassade des Soviets croyant qu’il y est caché… Mais il est déjà loin. À Moscou, avec ses deux compagnes, où il va représenter l’Internationale communiste, le Komintern.
Sans doute d’autres que lui seraient rentrés dans l’histoire terrifiante du stalinisme en en devenant l’un des auxiliaires zélés… C’est mal connaître le «petit rouquin». On n’est pas Breton et de surcroît de tradition anarcho-syndicaliste sans être rétif aux injustices. À commencer par celles qui se propagent dans son propre camp. Bref, en octobre 1927, au moment où, au sein du Komintern, on veut exclure Léon Trotsky, le fondateur de l’Armée rouge, il s’oppose à Staline. Cinq ou dix ans plus tard, il eut fini une balle dans la nuque dans la terrible prison de la Loubianka ou déporté au Goulag en Sibérie. Et l’on aurait le souvenir que Jean Cremet fut le premier dissident français de renom du système communiste.
Mais Staline n’a pas encore totalement conforté son pouvoir. Et Manouilsky, l’un des patrons de l’Internationale, qui apprécie le Petit rouquin lui propose la botte: «Tu vas en mission en Asie, on t’aura oublié, dans cinq ans Staline t’aura pardonné, s’il est encore parmi nous…». L’Asie? La Chine et l’Indochine, Jean Cremet n’en est pas absolument étranger. Surtout parce qu’il est ami depuis plusieurs années avec deux autres missi dominici du Komintern. Le premier c’est l’Indochinois Nguyên Ai Quôc (qu’on connaîtra un jour sous le nom d’Hô Chi Minh). Le second c’est l’Allemand Richard Sorge, qui a été choisi pour monter un vaste réseau de renseignement à Shanghai (et plus tard bien sûr au Japon, ce qui le perdra…). C’est pour rencontrer ces deux camarades que le Petit Rouquin est attablé au Peninsula de Hong Kong, en janvier 1930, et qu’il reviendra à plusieurs reprises dans la colonie britannique ces mois-là.

RF.

Pour quelles raisons Jean Cremet se trouve-t-il à Hong Kong… et que compte-t-il faire dans la colonie britannique ? Vous le saurez jeudi, dans la suite des aventures du mystérieux Breton…

Sources : Roger Faligot, Rémi Kauffer, L’Hermine rouge de Shanghai, Les portes du Large, Rennes, 2005. Crédit photographique : Faligot-Kauffer ; reproduction interdite.

Remerciements à M. Roger Faligot, co-auteur d'une passionnante biographie sur Jean Cremet.

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