jeudi 27 novembre 2008

Le mystérieux Breton Jean Cremet dans le Hong Kong des années 30 -2-

Syndicaliste et révolutionnaire d’origine bretonne, Jean Cremet se trouve embarqué dans la tourmente russe après la Grande Guerre. Il prend ensuite ses distances avec Staline et part se faire oublier en Asie. Pour autant, il n’oublie pas ses engagements et ses idéaux…
Le 29 décembre 1929, il a déjà écrit une carte à sa fille Jeanne qui ne l’a pas vu depuis trois ans quand il a disparu la police aux trousses :
«Ma petite Jeannette,
Et bien oui, je suis un habitant de ces pays depuis déjà trois mois (cela n’est ni très drôle, ni très gai). Mais sois tranquille et mère aussi. Qu’elle fasse ce que je lui ai dit, et tout ira au moment voulu. Évidemment, garde pour toi, le petit renseignement que je te donne sur mon nouveau lieu de résidence. Je séjourne d’ici jusqu’au Japon. C’est extrêmement pénible, si c’est intéressant. Je te ferais passer d’autres cartes. Celle-ci représente le vieux port avec des barques exclusivement chinoises. Songe qu’on les trouve en mer à deux jours des côtes! Écris comme je t’ai dit la dernière fois. Parle-moi de ton travail, de ta santé et de tes projets. Mes baisers et mes souhaits les plus affectueux.
Père.»
On n’est pas à l’époque de l’Internet. En temps ordinaires, de tels messages mettent des semaines à parvenir à bon port. Mais dans le cas de Cremet, père et fille, c’est encore plus délicat. Il faut passer par des systèmes très élaborés, du Komintern, pour que l’adolescente de quinze ans ait des nouvelles de son aventurier de père.
Et quelles aventures! En janvier, alors qu’il attend la venue de l’agent secret Sorge alias «Alex» et son radio Sepel Weingarten, il écrit coup sur coup deux cartes, l’une à Alphonsine, l’autre à Jeannette. Toutes deux reflètent un spleen du révolutionnaire clandestin. À la première, il explique notamment comment elle peut l’aider à se procurer d’autres papiers, et comment un émissaire va venir la voir. L’encre à peine sèche, il ajoute au crayon ces mots: «J’ai un cafard terrible dans ce sale pays. Mes baisers affectueux. Embrasse ma Nette! Comment va ton boulot? Si tu avais quelque chose de personnel, préviens-moi, que je ne commette pas de gaffe. Que sais-je: tu peux te remarier!».
Dans un hôtel de Tsimshatsui, il songe au voyage qu’il vient de faire en provenance de Kobe. Puis il écrit une seconde carte. Elle représente le Pic Victoria, l’une de ses balades favorites, avec le port d’Aberdeen et Repulse Bay. Il l’envoie à ses parents (son père est ingénieur d’arsenal à Bizerte) et à sa sœur, également Jeanne. Là encore, il laisse entendre qu’il abandonnerait bien sa vie de clandestin qui lui pèse. Notamment par ses mots: «Combien de fois n’ai-je pas l’envie de jeter le bonnet par dessus le moulin…».
Toutefois, le 3 février, Jean Cremet se retrouve avec Hô Chi Minh alias «Wong» pour la création du grand Parti communiste vietnamien, voulue par Moscou. Le congrès a lieu dans une maison de Kowloon, mais également au stade de football pendant un match (proche de l’ancien aéroport). Celui qu’on surnommera aussi l’Hermine rouge de Shanghai, Jean Cremet, a reçu les consignes du Komintern: fondre tous les groupes en un seul parti, le Dang Công San Viêt Nam. Déguisés en supporters de foot, les délégués vont suivre les conseils des deux délégués de l’Internationale. Puis, Cremet et le premier comité central élu, vont tenir conclave à Macao dans un hôtel.
Le 6 février, Cremet écrit à Jeannette de Chine pour lui expliquer que la famille va recevoir de l’argent et que l’on entendra plus parler de lui pendant quelque temps. C’est en effet la dernière carte de cette époque que Rémi Kauffer et moi-même avons pu analyser. Un demi-siècle plus tard, nous avons trouvé dans les livres d’histoire, des versions irréconciliables de la triste fin de Jean Cremet en Chine. Parmi les vingt versions que nous avions trouvées, voici celle du professeur shanghaïen Zhou Shangwen dans son «Dictionnaire biographique du communisme international» publié en 1984, donnait un bon exemple à la notice 克列梅 : Ke-lie-mei, Jang – Communiste français, il est envoyé début 1929 par le Komintern en mission en Chine et disparaît dans les environs de Macao, les causes de sa mort n’étant pas éclaircies».
Toutes ces versions étant contradictoires, cela nous a mis la puce à l’oreille. Et nous sommes partis en chasse de la vérité historique. C’est ainsi qu’en six ans, nous avons pu reconstituer la véritable histoire de Cremet et nous apercevoir que Hong Kong et Shanghai en avaient constitué le tournant décisif. Grâce à sa fille Jeanne retrouvée, l’accès aux cartes postales nous a permis de reconstituer sa trajectoire puis de découvrir qu’il avait vécu une seconde vie, en simulant sa propre mort pour échapper aux sbires de Staline. Cela Jeanne le savait mais la piste de Jean Cremet s’était encore ensablée dans les années cinquante… Et un beau jour nous avons pu, avant d’écrire notre livre, révéler à Jeanne comment son père, sous une nouvelle identité, après de multiples aventures dans la guerre d’Espagne ou dans la résistance, était finalement mort en 1973 en Belgique où il est enterré, encore de nos jours, sous un faux nom. Mais ceci est un nouveau mystère que nous réservons aux lecteurs de notre livre…

RF.

Sources : Roger Faligot, Rémi Kauffer, L’Hermine rouge de Shanghai, Les portes du Large, Rennes, 2005. Crédit photographique : Faligot-Kauffer ; reproduction interdite. Remerciements à M. Roger Faligot, co-auteur d’une passionnante biographie sur Jean Cremet.

Aucun commentaire: